Loi de Fraternité

 

 

« Loi de fraternité » : Nous, évêques, demandons que la société aide à vivre et à vivre jusqu’au bout, jusqu’à la mort

La Croix : Quelques jours seulement après l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, ce texte sur la fin de vie touche une nouvelle fois à une question éthique : comment réagissez-vous, êtes-vous inquiet de ces évolutions ?

Mgr Éric de Moulins-Beaufort : Notre pays devrait être, depuis la loi Claeys-Leonetti, un pays en pointe sur les soins palliatifs. Or, dans son entretien à La Croix, le président de la République présente un texte tout ficelé sur ce qu’il appelle « l’aide à mourir »mais, sur les soins palliatifs, de vagues promesses avec un chiffrage tout à fait approximatif. C’est l’équilibre exactement inverse de ce que Mme Vautrin m’avait décrit mercredi matin.

Ce qui est annoncé ne conduit pas notre pays vers plus de vie, mais vers la mort comme solution à la vie. Je l’ai dit comme beaucoup d’autres et je le redis : les Français n’envisageraient pas de la même manière la fin de vie si les soins palliatifs étaient chez nous une réalité pour tous partout, comme le voulait la loi dès 1999. Ces derniers temps, non seulement rien n’a été fait pour apporter des soins palliatifs là où il n’y en a pas, mais les moyens de plusieurs services existants ont été réduits encore. C’est cela la vérité.

 

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A suivre sur le journal La Croix 

 

 


 

 

Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, « on ne peut pas parler de fraternité quand on répond à la souffrance par la mort »

 

 

“On a l’impression que dans la start-up nation, les personnes non-productives n’ont plus le droit de cité”, fustige, lundi 11 mars, sur France Inter Monseigneur Matthieu Rougé, évêque de Nanterre (Hauts-de-Seine) et membre du conseil permanent de la Conférence des évêques de France, au lendemain des annonces d’Emmanuel Macron sur le futur projet de loi pour “une aide à mourir”.

Dimanche, le chef de l’État a affirmé dans un entretien accordé à Libération et à La Croix que le texte instaurant une aide à mourir sous “conditions strictes” serait présenté en Conseil des ministres en avril, en vue d’une première lecture en mai à l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron détaille ces conditions et précise que la procédure pourrait se faire dans un établissement de soins, à domicile ou en Ehpad, ce que dénonce vertement Monseigneur Rougé. L’évêque juge cette possibilité “incompréhensible”. “Ça veut dire qu’on va ouvrir massivement la possibilité de recourir aux gestes létaux dans les Ehpad” et “le scandale des Ehpad d’il y a quelques mois serait peu de chose à côté de cette ouverture“, estime-t-il.

Monseigneur Matthieu Rougé critique également le choix des mots d’Emmanuel Macron. Le président de la République dit, en effet, vouloir éviter les termes de “suicide assisté” ou d’“euthanasie”, préférant le terme plus général d’“aide à mourir”. L’évêque de Nanterre lui y voit un “euphémisme”. “Ce projet de loi, c’est l’euthanasie et le suicide assisté (…), c’est à la fois la solution belge et la solution suisse”, s’agace-t-il.

“Une très mauvaise surprise”

Le membre du conseil permanent de la Conférence des évêques de France considère ainsi que ce futur projet de loi “est une très mauvaise surprise”. Il rappelle que lorsque le chef de l’État “a récemment réuni les responsables des cultes, des médecins et des personnes engagées sur ce sujet, il a annoncé une grande loi sur les soins palliatifs, à l’intérieur de laquelle il pensait introduire une disposition pour répondre à des situations inextricables”. Monseigneur Rougé considère que le futur texte représentera “le contraire : il y [aura] une grande loi pour l’euthanasie et le suicide assisté, avec quelques dispositions mineures de soutien aux soins palliatifs”. “Cette inversion de ce qu’il nous avait annoncé est à la fois triste et préoccupante”, critique-t-il.

Dans son interview, Emmanuel Macron affirme qu’une aide à mourir “serait une vraie révolution d’humanité et de fraternité”, des mots qui déplaisent à Monseigneur Matthieu Rougé. Il considère qu’on “ne peut pas parler de fraternité quand on répond à la souffrance par la mort”. “Quand le pronostic vital est engagé, la mort n’est pas déjà là”, soutient-il. Il assure être “très sensible à la souffrance”, expliquant avoir “accompagné [son] père il y a quelques mois”. Il raconte ainsi que “les derniers jours, les dernières heures ont été un grand moment d’humanité”. Et pour l’évêque de Nanterre, “intégrer l’humanité de la mort est décisif pour que notre société vive vraiment”.

“Aujourd’hui le véritable progressisme qui permettrait sans doute au président d’entrer dans l’histoire, c’est de promouvoir massivement les soins palliatifs alors qu’un quart des départements en est dépourvu”, plaide l’évêque de Nanterre. Monseigneur Matthieu Rougé martèle que “le progrès en humanité en France aujourd’hui serait un plan massif sur les soins palliatifs”.

Source : France Info

 


 

                                                                              Fuites en Avant

Réaction de notre archevêque au projet de loi sur la fin de vie

 

Le président de la République a présenté le 11 mars 2024 dans le journal la Croix le projet de loi dit ‘d’aide à mourir’. Il précise que le texte est défini par « un équilibre qui fait le modèle français ».  En fait d’équilibre, j’ai plutôt l’impression de fuites en avant et d’un franchissement des limites.

Fuite en avant dans la confusion des mots. En dépit de ce qui est affirmé, ce projet d’aide à mourir est une ouverture à la légalisation du suicide médicalement assisté avec, de plus, la possibilité d’exception d’euthanasie. Sous prétexte de mieux dire le réel, on le masque dans des néologismes. Ceux et celles qui sont engagés dans la mission du prendre soin de la personne jusqu’en son dernier souffle apprécieront-ils aussi d’apprendre qu’accompagner la vie jusque dans le mourir et provoquer la mort en l’autre sont deux actes d’une égale fraternité ?

Fuite en avant dans une compréhension libérale et individualiste de la vie. Le président désire faire « coïncider l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation ». Or, la solidarité dont il parle semble surtout restreinte à l’entourage du patient, au point qu’il n’est jamais question des incidences culturelles d’une telle option. Cette loi, si elle est votée, ne risque-t-elle pas d’alourdir encore le caractère dépressif de notre société en perte d’espérance ? Ne risque-t-elle pas de fragiliser tant de personnes qui se regardent comme un poids devenu insupportable pour leur entourage ? Quand en plus la pratique pourrait se vivre partout, y compris dans des Ehpad !

Fuite en avant dans un choix d’équivalences, comme si l’accompagnement dans les soins palliatifs et la décision de se donner ou de recevoir la mort « n‘étaient plus opposables » et devraient être également disponibles. « Dans ce texte, on regarde la mort en face », dit fièrement le président. Mais de quel regard s’agit-il ? Faut-il oublier qu’y a là deux manières radicalement différentes d’envisager le mourir, l’une de s’abandonner et de laisser advenir, l’autre de maîtriser ?

Notre société se délite de ses liens. Trop de personnes sont délaissées dans leur vieillesse ou dans leurs maladies. Sans la tendresse d’une main qui accompagne au terme de la vie ici-bas, la solitude creuse l’angoisse. L’enjeu décisif est bien un réveil de la fraternité, mais une fraternité qui sert l’acte de vivre jusqu’à la mort. Je formule le vœu que les parlementaires refusent les ambiguïtés du projet de loi et que leur débat soit à hauteur d’humanité.

En ce temps du carême, l’Eglise se prépare à célébrer la victoire de l’amour sur la mort dans le Christ Jésus qui, sur la croix, s’est abandonné à Dieu en se donnant à ses frères. Dans l’espérance de la Résurrection, Il est notre guide, notre lumière et notre compagnon d’existence.

 

+ Laurent Le Boulc’h
Archevêque de Lille
11 mars 2024

 


 

Ne dévoyons pas la fraternité !

Déclaration des évêques de France

sur le projet de loi sur la fin de vie

 

Evêques de France, rassemblés à Lourdes, lieu de prière et de solidarité avec les personnes les plus fragiles, nous exprimons notre grande inquiétude et nos profondes réserves à l’égard du projet de loi annoncé sur la fin de vie. Nous proclamons sans nous lasser que toute vie humaine mérite d’être inconditionnellement respectée et accompagnée avec une authentique fraternité. Avec beaucoup de nos concitoyens, chrétiens ou non, croyants ou pas, avec un très grand nombre de soignants, dont nous voulons saluer l’engagement, la compétence et la générosité, nous réaffirmons notre attachement à la voie française du refus de la mort provoquée et de priorité donnée aux soins palliatifs.

C’est un impératif d’humanité et de fraternité que de soulager la souffrance et d’offrir à chacun la fin de vie la mieux accompagnée plutôt que de l’interrompre par un geste létal. Notre idéal démocratique, si fragile et si nécessaire, repose sur l’interdit fondateur de donner la mort.

Nous voulons exprimer notre grande proximité à l’égard des personnes en souffrance et nous saluons l’engagement de celles et ceux qui prennent soin d’elles. Nous voulons être à leur écoute et à leurs côtés, soutenant la fidélité des aidants et des proches. Nous sommes impressionnés par les progrès des soins palliatifs. Le Conseil consultatif national d’éthique a fait de leur généralisation la condition éthique préalable à toute évolution législative. Nous sommes convaincus qu’ils peuvent et doivent se développer encore, quantitativement à travers tout notre pays et qualitativement en continuant de répondre de mieux en mieux aux douleurs encore réfractaires. Nous saluons la recherche qui, par solidarité, ne cesse de trouver les meilleurs soins à apporter contre la douleur. Tout cela a un coût qu’une société démocratique comme la nôtre s’honorera d’assumer.

la demande de suicide assisté ou d’euthanasie est souvent l’expression d’un sentiment de solitude

Nous engageons tous les catholiques à s’impliquer davantage auprès des personnes en situation de handicap, âgées ou en fin de vie : la demande de suicide assisté ou d’euthanasie est souvent l’expression d’un sentiment de solitude et d’abandon auquel nous ne pouvons ni ne devons nous résoudre. Plus la solidarité avec les personnes les plus fragiles progressera, plus notre pays avancera sur un chemin renouvelé de fraternité, de justice, d’espérance et de paix.

Notre époque, souvent habitée par la peur de la mort et le désir de prolonger indéfiniment la vie, considère aussi les vies fragilisées comme dénuées de sens. Nous voulons affirmer que toute vie, si fragilisée soit-elle, mérite d’être honorée jusqu’à son terme naturel.

Au milieu de tant de violences contemporaines, dans notre pays et à travers le monde, nous appelons tous les chrétiens comme tous les hommes et femmes de bonne volonté à être d’authentiques serviteurs de la vie de leurs frères et sœurs. Le message de Pâques, que chacun peut accueillir à sa manière, est le triomphe de l’amour et de la vie sur la souffrance et le sentiment d’abandon. Que l’espérance de cette lumière pascale éclaire et encourage tous nos concitoyens et tous leurs représentants au seuil d’un débat décisif pour le présent et pour l’avenir de notre commune humanité.

 

Les évêques de France, réunis à Lourdes en Assemblée plénière, le 19 mars 2024